Des analyses courtes, précises et informées publiées de 2019 à 2020.
Par Maxime Huot Couture, directeur par intérim de Vivre dans la Dignité et doctorant en éthique et philosophie politique
Les développements techniques de la médecine suscitent de nouvelles questions éthiques, d’autant plus que nous avons aujourd’hui élargi son champ d’intervention non pas seulement à la guérison, mais à l’existence même des individus, comme par exemple dans le cas de l’euthanasie. Dans ce contexte, certaines personnes mettent de l’avant le concept « d’objection de conscience » pour éviter d’être forcés à faire des actes qu’ils désapprouvent. Or, dans ce débat, d’autres soutiennent que le droit à l’objection de conscience n’est pas absolu, puisque c’est l’intérêt du malade ou du « client » qui doive primer. En effet, disent-ils, on ne doit pas empêcher quelqu’un de recevoir des services médicaux reconnus à cause des « croyances », religieuses ou morales, des professionnels de la santé.
L’objection de conscience est bel et bien un droit, et un droit absolu. La raison première est que l’objection de conscience n’est pas, comme ses détracteurs l’affirment, avant tout une affaire de croyances religieuses ou morales. La conscience est un plutôt un « sens interne de rectitude », une conviction que telle ou telle action précise est bonne ou mauvaise. La conscience est donc un jugement sur le bien-fondé, ou non, d’une action. Ainsi, le refus d’un professionnel de la santé d’accomplir un acte particulier est justifié par la conviction que cet acte est mauvais pour le patient. Le professionnel de la santé ne refuse pas d’agir pour s’assurer le respect de ses croyances, mais justement pour s’assurer du bien-être de son patient, puisque cela est le but même de sa fonction.
Bien sûr, plusieurs professionnels de la santé peuvent avoir des jugements différents. Il est possible qu’un d’entre eux se trompe. C’est pourquoi on ne peut simplement invoquer l’autorité de la conscience pour avoir le droit de faire ceci ou cela. Or, l’enjeu de l’objection de conscience est autre. Il s’agit plutôt du droit de ne pas faire une action considérée comme mauvaise. Si on obligeait quelqu’un à agir contre sa conscience, alors ce serait une atteinte à son intégrité. Et qui voudrait avoir un médecin sans intégrité, c’est-à-dire un médecin qui accomplit certaines actions sans se soucier des conséquences pour son patient? Il n’est pas avantageux pour le patient que son médecin soit « neutre » et qu’il obéisse à toutes ses demandes même si elles sont mauvaises pour lui. Il faut donc comprendre que l’objection de conscience n’est pas un refus de soigner, mais la volonté de soigner différemment, en phase avec le meilleur jugement du professionnel de la santé.
Par Dr. Patrick Vinay, président de Vivre dans la Dignité, ex-doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal
La sédation est un geste médical faisant partie de la pratique courante de la médecine. La sédation traduit la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance. Elle est surtout utilisée aux soins intensifs pour favoriser la guérison de grands malades en réduisant les besoins caloriques de personnes qui ne peuvent plus s’alimenter naturellement. C’est un outil de guérison.
En soins palliatifs, la sédation recherche une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont été mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté. Il s’agit donc d’un geste médical de dernier recours, ayant ses indications, ses conditions et ses modalités d’application. La médication utilisée est la même et est sécuritaire. Lorsque la sédation est temporaire ou intermittente, elle constitue un répit à la situation de crise et permet des ajustements thérapeutiques tout en soulageant immédiatement le patient. Lorsqu’elle est continue, elle maintient un soulagement qu’on ne peut obtenir autrement et elle est alors souvent maintenue jusqu’au décès parce que la source de la détresse ne peut être enrayée. La médication antalgique du malade est bien sur maintenue sou sédation, car celle-ci ne supprime pas la douleur ni ses effets. La sédation est donc une option essentielle dans l’arsenal thérapeutique applicable en fin de vie.
Comme tout geste thérapeutique, la sédation continue peut provoquer des complications. Celles-ci pourraient avoir une incidence sur la durée de vie du patient sous sédation, particulièrement dans les situations exceptionnelles où les dosages requis pour assurer le confort du patient sont plus élevés. Mais cette situation est rare et n’est jamais le fait d’une visée euthanasique : il n’y a pas ici de volonté d’interrompre la vie.
La sédation palliative continue entraîne l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, ce qui pourrait abréger la vie d’un malade si celle-ci était administrée chez un patient avec un long pronostic de survie (plusieurs semaines) et encore capable de s’alimenter et de s’hydrater. En effet, il est communément admis en médecine que la capacité de survie d’un être humain malade diminue rapidement au-delà d’une semaine sans hydratation. Maintenir une hydratation artificielle (solutés) pendant une sédation continue en toute fin de vie est toutefois peu recommandable en raison des risques de surcharge liquidienne en fin de vie. C’est pourquoi la sédation palliative continue est surtout administrée à une personne malade en phase terminale dont la mort est imminente, c’est-à-dire dont le pronostic de survie est très court. Rares sont les patients qui ont besoin d’une sédation palliative continue plus d’une semaine avant leur décès. Diverses publications démontrent que ni la médication antalgique ni la sédation palliative continue correctement administrée n’accélèrent le décès.
Par ailleurs, il convient d’éviter une sédation palliative prolongée durant plus de 15 jours en raison des complications associées qui croissent alors significativement (le malade devient rigide, très souffrant à la mobilisation, etc). On n’offrira donc pas de sédation continue durant plus de deux semaines.
Pour de plus ample renseignements, il conviendrait de consulter le document élaboré par la Société québécoise des médecins de soins palliatifs (SQMDSP) qu’on trouvera sur le site PalliScience de la Maison Victor-Gadbois.
Par Louis-André Richard, Ph.D., professeur de philosophie
Comment exprimer brièvement la situation politique dans laquelle nous nous retrouvons ? Le philosophe Alexis De Tocqueville a remarqué comment la recherche de l’égalité, au fondement de la vie démocratique, a fait naître l’individualisme. La logique individualiste est à la base de ce que nous concevons aujourd’hui comme « l’autonomie », c’est-à-dire la liberté pour chacun de suivre une norme ou une règle qu’il a choisie. Si le concept d’autonomie n’est pas nouveau, c’est toutefois un fait inusité que de le réduire aujourd’hui à la revendication de droits individuels illimités.
Une analyse, même sommaire, de l’histoire des idées montre toujours l’autonomie comme une qualité soumise à l’altérité, comme une façon d’agir librement qui implique les autres. C’est pourquoi mes recherches sur le sujet m’ont conduit à parler d’allonomie (« allo » [autre] et nomos [« loi ou règle »]). Il s’agit d’un substantif redonnant sa raison d’être à une compréhension intégrée de l’autonomie où l’autre est omniprésent. Il s’agit de l’autre personne bien entendu, mais aussi de la reconnaissance d’une altérité sous forme d’hétéronomie, d’un ancrage normatif gagé sur autre chose que la seule volonté de la personne. Ces ancrages diffèrent selon les personnes, mais certains ont toujours accompagné l’humanité : la caractère sacré de la vie et du corps, l’amour de sa famille et de sa patrie ou l’ouverture à une parole divine.
L’accompagnement palliatif répond aujourd’hui à un contexte particulier. Cette forme nouvelle d’approche des soins en fin de vie a émergé au moment où la médecine, forte de ses prouesses technologiques efficientes, éprouvait au même moment les limites de sa posture curative. Tablant sur la dimension proprement humaine de l’accompagnement des patients, les soins palliatifs ont assuré de maintenir, voire de redonner à l’acte médical son caractère humain et relationnel. Après plus de 20 ans d’observation assidue des acteurs en soins palliatifs, j’ai remarqué, non sans admiration, à quel point ils ont induit une culture des relations interpersonnelles très impressionnante. La communauté palliative est une microsociété marquée par la profondeur des liens humains.
Au fil du temps sont apparues, dans le vocabulaire de cette microsociété, des expressions comme : « l’autonomie relationnelle », « l’autonomie altruiste » ou « l’autonomie réciproque ». J’y discerne une réaction saine tirée de l’expérience du soin ultime. Elle vient corriger et recentrer sur l’essentiel, elle raffine les liens sociaux et politiques dans nos démocraties libérales. Les soins palliatifs sont un catalyseur possible de la culture allonome. Mais dans le contexte actuel où la pression sociale tend à faire des amalgames entre le soin de fin de vie et l’euthanasie sous forme d’aide médicale à mourir, où le bien commun se réduit à des revendications utilitaristes comme « l’altruisme efficace « , la culture palliative est menacée. Saura-t-elle résister à l’assimilation ? Dans tous les cas, si l’expérience palliative a senti le besoin d’adjoindre la relation à l’autonomie individuelle, n’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur le lien intrinsèque et fondamental entre ces deux dimensions ?
Par Maxime Huot Couture, directeur par intérim de Vivre dans la Dignité et doctorant en éthique et philosophie politique
Il est toujours bon de réexplorer les notions qui structurent notre société et notre relation aux autres. Un des pivots de notre discours éthique actuel est le concept de dignité humaine. Malgré cela, on remarquera facilement que ce concept peut recevoir des significations multiples, parfois contradictoires.
Il est possible de distinguer deux sens principaux rattachés aujourd’hui à la dignité humaine. On parle d’abord de dignité en un sens objectif lorsqu’on affirme que, peu importe sa condition physique ou psychologique, une personne est toujours digne, par le simple fait d’être une personne humaine. C’est la dignité dite « intrinsèque ». D’autre part, on parle de dignité subjective lorsqu’on fait référence au sentiment qu’une personne a de sa dignité. Le sentiment de dignité ou d’indignité est alors dépendant de la situation dans laquelle se trouve la personne et du regard et des actions des autres envers elle. Bien sûr, même dans ce cas, une personne ne perd jamais sa dignité objective qui est un principe universel, indépendant du contexte particulier.
Mais qu’est-ce que la dignité exactement et d’où vient-elle? Le philosophe de l’époque des Lumières Emmanuel Kant en a donné une définition célèbre : Une personne est digne, car elle existe comme une fin en elle-même, et non pas simplement comme un moyen dont on pourrait user à son gré. La dignité humaine implique donc la révérence, le respect et la protection envers chaque personne, comme un être libre et doté d’une existence toujours unique. C’est ce que reconnaît par exemple la Charte universelle des droits de l’homme lorsqu’elle affirme que toute personne possède des droits du seul fait de son humanité. C’est pourquoi l’expression « mourir dans la dignité » est trompeuse: elle sous-entend qu’une personne puisse perdre sa dignité avec la maladie ou la vulnérabilité.
La dignité humaine est fondée sur la valeur supérieure de l’être humain, doué de raison. On appelle conscience ce souci proprement humain de bien agir en toute connaissance de cause. Bien que la dignité soit liée avant tout à cette liberté due à l’intelligence humaine, être humain, c’est aussi avoir une volonté, des sentiments, un corps. C’est être tout cela à la fois (un individu est « indivisible »). La dignité humaine suppose une vision intégrale de la personne. C’est pourquoi une personne dont les facultés mentales sont affaiblies possède également une dignité humaine, et de même pour une personne souffrant d’un handicap physique. De la même façon, une personne qui perd la mémoire demeure digne, puisqu’elle existe encore comme un être humain, avec un corps, une personnalité et une histoire bien à elle. Mettre fin aux jours de quelqu’un sous prétexte de respecter « sa volonté » est donc une erreur et une atteinte à la dignité : on ne peut aller à l’encontre de la dignité du corps pour honorer la dignité de la volonté. Il y a là quelque chose de contradictoire qui met en danger la vision intégrale et civilisée de la dignité.
Par Patrick Vinay, M.D., Ph.D, président de Vivre dans la Dignité et ex-doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal
L’arrivée souvent brutale de la maladie vient secouer violemment l’ex-bien-portant immortel qui voit son paysage familier se transformer. Le choc est parfois brutal. “Je ne suis pas immortel! Je n’ai pas eu le temps! J’ai gaspillé des précieux moments de vie. Je n’aurai pas le temps de dire, de faire…” Avec les transformations physiques, les endorphines basses, la douleur, la dépression, la dépendance, il vit avec une image de soi dévalorisante. Il tire le drap sur sa tête. Il cherche du sens à un présent qui ne prépare plus de futur pour lui. Les priorités négligées de sa vie deviennent urgentes.
C’est là que les soins palliatifs s’impliquent, pour restaurer le confort physique d’abord et pour permettre ainsi les rencontres avec les siens, une restauration identitaire et la constitution d’un leg significatif. La pratique de la narrativité dans un contexte porteur permet une relecture désirée de la vie passée et des interactions vécues avec les autres. Elle ouvre un espace de confirmation identitaire riche des rencontres, de découvertes, de liens nouveaux et la constitution d’une famille élargie peuplée de visages de soignants et de bénévoles devenus significatifs. L’identité se reconstruit, plus riche, plus vraie.
Cet espace palliatif, qui dure de quelques mois à quelques jours, ouvre aussi un espace d’adaptation aux proches avant le départ de l’être aimé. C’est une période précieuse, un creuset d’humanité où chacun découvre autrement le poids des gestes et des mots, la force de la fraternité, la vraie notion de l’amour qui s’étend d’âge en âge. C’est cet espace qu’il convient de protéger en offrant à tous ceux qui le veulent des soins palliatifs de qualité. C’est aussi l’espace qui est sacrifié quand on choisit une mort prématurée. Nous devons donc assurer collectivement les conditions requises pour qu’un espace palliatif soit offert à tous ceux qui font ce choix.