Euthanasie : quand le moyen justifie la fin

En janvier débutaient les audiences de deux personnes vivant avec un handicap qui contestent devant les tribunaux du Québec les articles des lois fédérale et provinciale requérant d’être « en fin de vie » ou que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible » pour être admissible à l’euthanasie. Autrement dit, les deux plaignants demandent à l'État de leur fournir un médecin qui les aidera à se suicider, par euthanasie, même s’ils ne sont pas mourants.

Et depuis le premier jour des audiences, il semble que, pour les médias du moins, la question soit déjà réglée : il faut permettre à ces deux personnes de se suicider par injection létale parce qu’ils considèrent leur vie misérable. Le verdict médiatique est tombé avec toute la force de leurs moyens et avec toute la dureté d’un jugement sans appel, sans même avoir eu besoin d’attendre les trente-deux autres journées d’audience et les six mois d’analyse de toutes les expertises qui seront présentées en cour. Ainsi va la vie quand il est question d’euthanasie…

Si personne ne peut rester de marbre en écoutant le récit des afflictions de Mme Gladu et de M. Truchon, il n’en demeure pas moins qu’il serait préjudiciable pour notre société de s’en tenir à un portrait en deux dimensions, tout comme il est simpliste et néfaste de résumer les débats autour de l’euthanasie à la seule question du choix personnel.

Quoi qu’en disent les plus farouches partisans de l’euthanasie qui cherchent à en faire une simple option sur demande, ce qui est en jeu dans la cause actuellement devant les tribunaux concerne le regard de notre société sur toutes les personnes âgées, malades ou qui vivent avec un handicap.

En effet, l’issue de ce procès déterminera si notre société doit cautionner le suicide par euthanasie de certaines personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais qui désirent néanmoins mourir parce qu’elles souffrent à cause de limitations physiques ou mentales brimant leur autonomie ou leur qualité de vie.

Ici, il est essentiel de comprendre une réalité importante entourant la notion de handicap : toute personne ayant une incapacité physique ou mentale répond à cette définition. Ainsi, bien que l’image d’une personne en fauteuil roulant soit certes frappante et largement utilisée, elle demeure limitative puisqu’elle exclut un nombre incalculable de personnes qui répondent aux mêmes critères, comme par exemple une personne aveugle de naissance ou par accident, une personne atteinte de la maladie de Parkinson, ou encore toute personne malade ou âgée dont les déplacements nécessitent de l’assistance mécanique ou humaine.

Par ailleurs, le raisonnement qui prévaut actuellement parmi les promoteurs d’une nouvelle extension de l’euthanasie s’appuie sur une logique qui ne peut qu’aboutir à la mort sur demande. En effet, selon eux, comme nul ne peut juger la souffrance d’autrui – ce qui est vrai – on ne devrait pas refuser la mort à une personne souffrante qui en fait la demande de façon « réfléchie ». Or, cette logique, poussée dans ses retranchements inavoués, constitue en réalité un plaidoyer en faveur du suicide, présenté comme étant une sortie honorable quand il est réalisé dans un contexte médico-légal.

Dans cette optique, nous lisons maintenant presque sans broncher le déferlement médiatique actuel en faveur du suicide par euthanasie pour les personnes qui vivent avec un handicap; nous assistons sans se questionner à une forte pression politique pour permettre l'euthanasie des personnes atteintes d’une forme de démence – et donc inaptes à consentir au moment de leur mise à mort; et nous apprenons comme si de rien n’était que le plus grand hôpital pour enfants au Canada travaille déjà sur une ébauche de protocole en prévision des jours où les enfants pourront également recourir au suicide par injection létale – probablement sans avoir besoin du consentement de leurs parents.

Et à cette panoplie d’efforts pour faire éclater les balises et les critères d’une loi controversée, votée il y a seulement trois ans, s’ajoute maintenant une toute nouvelle « étude » de l’Université de Montréal qui plaide en faveur de l’euthanasie pour les personnes atteintes d’un trouble mental – c’est-à-dire des gens qui souffrent de dépression, d’anxiété, de psychose, d’angoisse ou de schizophrénie – en concluant que « certains suicides peuvent être considérés comme rationnels. »

À chaque nouvelle extension, on entend applaudir les mêmes personnes qui nous rassurent chaque fois avec leurs « critères stricts » et leurs « balises robustes ». Et pour justifier chacune de ces dérives, ils chantent toujours le même refrain : « Si la personne veut mourir parce qu’elle souffre… qui sommes-nous pour le lui refuser? Après tout, c’est son choix! »

Mais, rassurez-vous : la pente glissante, nous dit-on, n’est qu’une invention des opposants à l’euthanasie.

Cependant, en sortant du prisme de la souffrance personnelle qui peut rendre notre raison captive, on peut rapidement constater que l’extension de l’euthanasie aux personnes qui ne sont pas en fin de vie pourrait mettre sérieusement à risque la protection et la dignité des personnes rendues vulnérables par la maladie, la vieillesse ou le handicap, et compromettrait du même coup bon nombre d'efforts de prévention du suicide.

En effet, trois ans seulement après l’entrée en vigueur de la loi québécoise ayant légalisé l’euthanasie (sous les apparences d’un soin de santé), on peut déjà lire et entendre, dans la sphère publique, des discours qui dévalorisent complètement les personnes malades, âgées ou qui vivent avec un handicap, en présentant la perte d’autonomie et/ou de qualité de vie comme de telles indignités que la mort peut leur être légitimement préférable. 

Selon cette rhétorique, la mort par euthanasie constituerait un choix « logique » qui serait même largement « compris » et « partagé » au sein de la population. En d’autres mots, tout le monde s’entendrait à merveille pour dire que la vieillesse et la vie avec un handicap ne sont que misère et indignité.  

En suivant cette route, il finira donc par arriver chez nous ce qui est en train de se passer en Europe : à plus ou moins long terme, on discutera avec sérieux de la possibilité de permettre l’euthanasie pour les personnes tout simplement « fatiguées de vivre ».

Est-ce vraiment le regard que nous voulons porter, individuellement et collectivement, sur nos aînés et sur toutes les personnes qui vivent avec une incapacité? Est-ce que notre compassion naturelle envers autrui doit nous amener à aider les personnes qui souffrent en les poussant en bas d’un pont ou en attachant le nœud de la corde qui les pendra?

Non, évidemment.

D’ailleurs, si on remplaçait la fameuse injection létale par un autre moyen plus cru, nous n’aurions jamais cette discussion parce que la nature réelle du geste nous frapperait de plein fouet. Voulez-vous un autre moyen de quitter ce monde sans souffrance? Une dose de calmant, suivi de la guillotine. Encore plus rapide que l’injection létale. Mais, dans ce cas-ci, ce ne serait pas long avant de se faire traiter de barbare.

Paradoxalement, le moyen choisi pour « l’aide médicale à mourir » est en tout point conforme à celui – controversé d’ailleurs – utilisé pour les exécutions aux États-Unis. Pourquoi l’un est-il décrié comme étant sauvage, tandis que l’autre est qualifié de « noble, humain et moderne »? Une question de choix personnel, paraît-il.

Pour éviter pareil échec de société, chacun d’entre nous porte la responsabilité de se rendre attentif aux personnes vulnérables de son entourage, et disponible pour les accompagner, les soutenir et leur faire une place au sein de la vie sociale. Pour le bien de notre société, le suicide par euthanasie ne doit donc jamais devenir une réponse à la souffrance de vivre.

Même si le pont ou la corde prennent la forme d’une injection létale.

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