Appuyés par un grand nombre de citoyens, de médecins et de spécialistes, nous sommes contre l’euthanasie et le suicide assisté. Voici des objections couramment formulées à l’encontre de cette position, suivies d’une réponse. 

La souffrance, la maladie et le handicap ne rendent pas quelqu’un indigne, puisque la dignité humaine fondamentale n’est pas fondée sur l’autonomie.

La dignité humaine est inaliénable, peu importe l’état physique ou psychique de la personne : « Tout être humain, quel qu’il soit, possède une dignité propre, inaliénable, [en un] sens non équivoque : ce qui est au-dessus de tout prix et n’admet nul équivalent, n’ayant pas une valeur relative, mais une valeur absolue. » (Thomas De Koninck, De la dignité humaine, p. 1).

Lorsque les personnes souffrantes ne sont pas accompagnées, soutenues, ce ne sont pas elles qui sont indignes, mais la société ou les proches qui agissent de façon indigne. Dès lors, ce sont les conditions entourant la souffrance qu’il faut modifier.

Donner la mort à la personne vient malheureusement transmettre le message que cette personne n’est pas digne de vivre. Ce message est bien sûr dangereux pour les personnes vulnérables comme les aînés ou les personnes vivant avec un handicap.

La fin de vie en général et la souffrance due à la maladie en particulier ne concernent pas seulement le corps, mais tout autant l’esprit: notre perception du monde, de nous-même, nos espoirs, nos peurs, nos relations. 

La fin de vie est une période où se produit une transformation de l’image de soi et, par ce fait même, une incertitude identitaire. La réalité du malade est en quelque sorte « déconstruite » par la maladie: les petits gestes quotidiens comme les relations interpersonnelles sont vécus différemment. Une impression d’être inutile, d’être un fardeau pour les autres introduit des doutes sur la valeur du présent et sur les
accomplissements de la vie passée.

Ce sont les symptômes communs d’une déconstruction du sens de la vie: colère, honte, incapacité d’accepter ou désespoir.

Or la fin de vie peut aussi être le moment d’une reconstruction du sens de notre vie et donc d’une reconstruction identitaire plus authentique et plus profonde. C’est souvent un temps privilégié pour remettre nos priorités à leur place, pour dire des choses que nous aurions toujours voulu dire, pour prendre du temps avec ceux qui nous sont chers.

Dans cette reconstruction identitaire, il y a un aspect de « surprenance » que l’aide médicale à mourir vient éliminer. L’euthanasie met abruptement fin à un processus naturel de recherche de sens lors de la fin de vie. Elle nous coupe de moments imprévus qui nous auraient permis de mourir plus dans la paix, dans la joie et avec le sentiment d’une existence qui fait sens.

L’AMM permet peut-être une mort « paisible » (bien qu’il arrive que des complications aient l’effet contraire), mais pas une mort en paix. La mort en paix implique un dernier combat, une dernière recherche de sens et surtout un accueil de notre réalité.

Pour beaucoup, l’aide médicale à mourir est le dernier geste inauthentique (c’est-à-dire qui se cache la réalité) d’une vie inauthentique (puisque la société actuelle est très axée sur l’image et la performance).

La véritable autonomie, en fin de vie, c’est la capacité de construire un récit de vie significatif avec la vulnérabilité. C’est de reconstruire notre « soi » profond à partir des éléments de notre réalité, incluant la maladie. À l’aide de soins palliatifs adéquats, cette autonomie est possible et la fin de vie peut être un moment privilégié pour le malade et pour ses proches. 

 

La pratique de la médecine nous enseignement que les patients qui expriment le désir de mourir le font le plus souvent parce qu’ils ont besoin de réconfort, qu’ils sont déprimés ou que leurs douleurs et leurs symptômes ne sont pas contrôlés. Pour la très grande majorité, les bons soins médicaux, le traitement de la dépression ou l’approche palliative sont des solutions à leur demande.

De plus, les patients qui demandent à mourir changent souvent d’idée avec le temps, ou à la suite d’un événement particulier, d’une rencontre, prise de conscience, etc. En fait, la demande de mourir provient bien souvent non pas des malades, mais des familles qui sont épuisées ou désespérées; dans bien des cas, lorsque la famille est mieux épaulée, la demande disparaît.

Contre-objection: On devrait quand même changer la loi pour permettre au petit nombre dont les souffrances ne peuvent être prises en charge parfaitement d’avoir recours à l’euthanasie.

Il ne peut y avoir d’exception à la règle de ne pas tuer intentionnellement un innocent, puisque sans cette règle, ce sont les bases même de l’éthique, de la moralité et de la solidarité civique qui tombent. Toute la science politique classique nous informe qu’il ne faut pas modifier la loi pour quelques exceptions.

Cela reviendrait à mettre beaucoup de personnes en danger pour en soulager certains et, ceci dit, avec un soulagement douteux. La liberté des uns s’arrêtent là où elles empiètent sur la liberté, et donc la sécurité, des autres.

Finalement, lorsque la souffrance est grandement intolérable, la mort s’en suit habituellement. Hâter la mort revient à faire perdre à la personne ses derniers moments, qui peuvent être précieux, même dans la souffrance, surtout lorsque cette souffrance est accompagnée.

Au cours procès Carter, le Canada a présenté un affidavit s’appuyant sur le constat de plusieurs dérives en Belgique, malgré de telles garanties.

En effet, l’expérience des pays qui ont légalisé l’euthanasie montre que les pratiques deviennent vite ingérables, même avec des balises : les protocoles ne sont pas respectés, les consentements non obtenus, les pressions des familles se font fortes et difficiles à gérer. Des personnes qui ne le demandaient pas sont mises à mort.

Un acte aussi grave que de donner la mort nécessiterait une quasi-omniscience et clairvoyance des médecins et des patients, contrôlant parfaitement leurs émotions, les pressions extérieures, et sachant tout ce qui se passera dans le futur. Cela est bien sûr impossible.

Une personne inconsciente ou minimalement consciente ne perd pas sa dignité fondamentale. Le respect est encore dû à sa personne et à son corps, inséparable de son être tout entier. Toutefois, certaines situations limites sont plus près de la mort que de la vie. Il s’agit en général d’éviter deux écueils, l’acharnement thérapeutique d’un côté, l’accélération de la mort de l’autre.

Il faut distinguer différents niveaux d’inconscience.

a) L’état pauci-relationnel ou conscience minimale

L’état pauci-relationnel est caractérisé par des manifestations de conscience fréquentes. Le patient répond adéquatement à des stimulations extérieures et des commandes motrices. Les yeux suivent ce qui se passe, le patient réagit à la douleur ainsi qu’à des stimulations auditives.

b) L’état végétatif

L’état végétatif est caractérisé par une situation d’éveil, mais sans manifestation de la conscience. Les fonctions autonomes du corps sont conservées et stables. Les personnes en état végétatif chronique n’ont généralement pas de pathologies associées, elles ne sont pas médicalisées et ne sont pas en fin de vie. Elles ont généralement besoin de nutrition par sonde, d’hydratation artificielle et d’une prise en charge infirmière pour le quotidien.

Attention, une absence de manifestations extérieures de la conscience ne peut pas donner la certitude qu’un patient est inconscient. Selon certains spécialistes, plus de 1 patient sur 5 en état végétatif pourrait être conscient dans les faits, les techniques d’imagerie médicale nous permettant de détecter l’activité du cerveau.

c) Le coma profond

Dans ce cas, il n’y a aucune manifestation extérieure d’éveil et de conscience. Un diagnostic de coma est fondé sur l’absence d’ouverture des yeux, de réponse verbale et de mouvements volontaires.

(Source : Baret, C. et al., Incertitudes concernant l’état de conscience des personnes en état végétatif : conséquences chez les proches et les soignants, Jusqu’à la mort accompagner la vie 4, no. 111, 2012, p. 93-110).

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La conscience n’est pas un phénomène « tout ou rien », mais plutôt un continuum d’états pouvant évoluer ou régresser.

Lorsqu’une personne est dans un état végétatif et qu’il n’y a plus aucun espoir de réanimation, alors il est possible d’arrêter les traitements, notamment la respiration artificielle. Cela permet d’éviter l’acharnement thérapeutique comme l’euthanasie.

Si l’AMM n’avait pas été légalisée en premier lieu, il est probable que cette personne n’aurait pas commis ce geste. L’affirmation sous-jacente à l’AMM est que le suicide est un moyen valable de mettre fin à ses souffrances.

Une étude a démontré que la légalisation du suicide assisté est lié à une augmentation de 6,3% des taux de suicide aux États-Unis (David Albert Jones et David Paton, « How Does Legalization of Physician-Assisted Suicide Affect Rates of Suicide? », Southern Medical Journal, vol. 108, no. 10, octobre 2015).

Le choix de l’aide médicale à mourir ne concerne pas seulement l’individu, il a des conséquences sur toute la population.

D’abord, l’euthanasie et le suicide assisté nécessite la participation directe d’une autre personne, soit le médecin ou le pharmacien. Cette personne est alors impliquée dans un acte grave. Cet acte retentit sur toute la profession et crée des tensions. Comme il est observable, des pressions sont alors exercées sur ceux qui refusent de faire cet acte.

Ensuite, permettre ce choix implique de modifier la loi criminelle. Cela normalise le geste de donner la mort. Certaines personnes sentiront de la pression à se donner la mort, d’eux-même ou de leur famille. D’autres subiront une forme d’euthanasie sans consentement lorsqu’ils seront le plus vulnérables (dans le cas de comas, par exemple). Des personnes lourdement handicapées subiront de la stigmatisation, puisque le message envoyé est que la vie « non autonome » est indigne et ne vaut pas la peine d’être vécue.

De plus, le choix du suicide a des conséquences sur les proches, qui vivent généralement un deuil beaucoup plus difficile.

Nul n’est une île et un choix a toujours des conséquences sur les autres. On ne peut donc justifier une mesure politique seulement avec le critère du libre choix. Dans ce cas, plusieurs gestes répréhensibles pourraient être légalisés. Le critère du bien commun vient toujours balancer celui de la liberté individuelle.