Deux propositions de loi ont été adoptées par l’Assemblée nationale en France le 27 mai dernier. L’une est relative au droit à l’aide à mourir et l’autre vise à garantir l’égal accès de
tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs. La Commission des affaires sociales du Sénat français entreprend cet été son étude de ces projets de loi. Une audition sur les expériences étrangères d’aide à mourir et de soins palliatifs s’est déroulée le 1er juillet.
On peut lire le verbatim de la rencontre sur le site du Sénat ou visionner la rencontre via cette vidéo.
Les trois spécialistes qui se sont exprimés sont :
– (Dès 4 :23 de la vidéo) Mme Jacqueline Herremans, avocate au Barreau de Bruxelles, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité de Belgique;
– (Dès 21 :28 de la vidéo) M. Pierre Deschamps, avocat, membre émérite du Barreau du Québec et éthicien (en téléconférence);
– (Dès 37 :06 de la vidéo) M. Theo Boer, professeur d’éthique de la santé à l’Université théologique protestante de Groningue et ancien membre d’un comité de contrôle de l’euthanasie du gouvernement néerlandais (en téléconférence).
Nous vous invitions à prendre connaissance de leurs interventions et des échanges qui ont suivi avec les membres de la Commission. Nous tenons à mettre la lumière sur deux extraits qui nous paraissent particulièrement évocateurs concernant l’état des lieux au Québec et au Pays-Bas.
1) Impressions personnelles de Pierre Beauchamp sur la situation au Québec
Note : M. Beauchamp est
aussi membre de la Commission sur les soins de fin de vie depuis neuf ans. Il
ne remet pas en cause l’aide médicale à mourir, l’aide à mourir, l’euthanasie,
ou le suicide assisté, mais observe que dans bien des cas d’AMM, la relation
médecin-patient est malmenée.
Dès 31 :43 de
la vidéo intégrale.
Après avoir examiné
15 000 déclarations en plus de neuf ans, je peux dire que toute
demande d’aide médicale à mourir conduit généralement un médecin saisi d’une
telle demande à l’évaluer, en vue d’apprécier si la personne remplit tous les
critères et, dans l’affirmative, à s’assurer que son opinion est validée par un
autre médecin. Si les deux opinions concordent, le patient est « en
droit » de recevoir le soin qu’est l’aide médicale à mourir, le processus
menant à celle-ci se déroulant très souvent en marge de la relation
traditionnelle médecin-patient. Voilà ce que la pratique révèle.
Dans bien des
cas, la relation médecin-patient est donc malmenée. Dans le cadre de la
procédure, il est question d’entretiens entre le médecin et le patient. Or,
parfois, lesdits entretiens ont lieu en l’espace de deux ou trois jours, voire
au cours d’une seule et même journée. Il est aussi souvent question de la
consultation des équipes médicales : dans les faits, cette consultation
n’est pas toujours effective.
Souvent, les
législations visent à mettre en place un régime juridique permettant un
encadrement rigoureux de l’aide médicale à mourir, de sorte que les
prescriptions légales en la matière soient respectées par le corps médical. On
l’expérience prouve que la pratique médicale s’est affranchie de plusieurs
règles relatives à l’administration de l’aide médicale à mourir. Certains
médecins ont pris des libertés avec la loi telle qu’elle a été conçue.
Par exemple, la
procédure qui dispose que le médecin saisi d’une demande confirme
l’admissibilité d’un patient par un second médecin est ignorée : bien
souvent, par commodité, l’avis du second médecin est rédigé avant l’évaluation
du patient par le premier médecin. Autre exemple, certains médecins ont parfois
tendance à considérer qu’une personne qui a une espérance de vie de dix, quinze
ou vingt ans remplit le critère d’une mort naturelle raisonnablement prévisible
inscrit dans la loi fédérale… D’autres encore tentent de développer des
règles particulières et dérogatoires pour ce qui concerne l’administration de
l’aide médicale à mourir.
Le message que
je souhaite faire passer, c’est que l’on peut concevoir la meilleure loi du
monde, avec les meilleures garanties possibles, c’est la pratique, seule, qui
peut faire en sorte que les choses changent.
Au fil des ans,
l’aide médicale à mourir est devenue une stratégie thérapeutique de première
intention. Ce n’est plus un soin de dernier recours ou un soin ultime :
c’est un soin qui est présenté et envisagé dès lors que la personne en fait la
demande.
Je terminerai
en disant que de nouveaux critères permettant l’obtention de l’aide médicale à
mourir émergent. Je pense notamment, pour les personnes d’un certain âge, à une
fracture de la hanche non opérée, à l’isolement social qui fait suite à la
perte d’un proche, au refus d’être de nouveau accueilli dans un centre
d’hébergement, aux soins de confort et d’accompagnement déficients. Ce sont
autant de facteurs qui renforcent le désir que peut éprouver une personne de
demander une aide médicale à mourir.
Au cours des
dix dernières années, on estime à plus de 200 000 le nombre des
personnes ayant été en contact, directement ou indirectement, avec une personne
ayant bénéficié d’une aide médicale à mourir. Mourir de cette manière est la
meilleure façon de mourir pour certains médecins qui considèrent qu’il vaut
mieux mourir ainsi que dans des souffrances incontrôlables.
2) Les remarques de Theo Boer sur la situation aux Pays-Bas
Note : M. Boer n’est pas
opposé en principe à l’euthanasie, mais il se demande « si la légalisation n’a
pas eu plus d’inconvénients que d’avantages ».
Dès 40 :00 de
la vidéo intégrale.
Les raisons pour lesquelles
certains individus choisissent une mort assistée se multiplient : démence,
psychiatrie, handicap, décès du conjoint, vieillissement. Peut-être saviez-vous
qu’un texte autorisant les personnes âgées n’étant atteintes d’aucune maladie à
recourir au suicide assisté sera bientôt examiné par le Parlement néerlandais.
La plupart de ces patients ne craignent pas une mort grave, mais une vie grave.
Sachez en outre que l’euthanasie des bébés et des enfants est autorisée depuis
un an.
On peut
affirmer avec une quasi-certitude que, une ou deux décennies après avoir
légalisé l’euthanasie, la France commencera à ressembler à des pays comme les
Pays-Bas, le Canada ou la Belgique.
Quelles sont
mes réserves en la matière ? En résumé, je crois que la liberté des uns va
bientôt devenir la contrainte des autres. Le patient néerlandais moyen doit de
plus en plus justifier son choix de vouloir continuer à vivre jusqu’à une fin
naturelle. Après tout, la loi autorise la mort assistée ; les médecins
gèrent cette possibilité ; et les médias ne diffusent que des signaux
positifs. Un tel contexte entraîne l’érosion de l’appréciation de ce que
j’appelle les « aspérités » de la vie : le vieillissement, la
fragilité, la dépendance aux soins, et une existence socialement marginalisée.
Même les
personnes qui meurent de mort naturelle se posent la question du choix de
l’euthanasie, dans la mesure où elles ont la faculté d’y recourir. Au début, on
« peut » faire un choix, et, après quelques décennies, on
« doit » faire ce choix. On est libre, mais, en définitive, on doit
faire un choix…
Comme pour
d’autres actes médicaux, on peut supposer qu’un médecin qui propose une mort
assistée ou accepte d’accéder à une demande d’euthanasie est convaincu du
caractère raisonnable de cette option. Il envoie donc un signal indiquant que,
pour cette personne ou cette maladie, il considère effectivement que la mort
est préférable à la poursuite de la vie. Cela se traduit par une dynamique
continue entre les médecins et les futurs patients : les patients
demandent la mort pour les maladies A, B ou C ; les médecins accordent la
mort pour les maladies A, B ou C ; et cela attire de nouveaux patients. En
somme, l’offre crée la demande !
Les personnes
qui nourrissent une forme de scepticisme à l’égard de l’euthanasie évoquent
souvent la pression sociale qui peut peser sur les publics les plus
vulnérables.
Je formulerai
deux commentaires à ce sujet.
Premièrement,
je pense qu’une telle pression est – fort heureusement ! – rare.
Ce n’est pas si simple de dire à un patient qu’il est temps de choisir la mort.
En réalité, la pression la plus importante est une pression sociale
intériorisée. Les patients eux-mêmes croient, sincèrement et volontairement,
que continuer à vivre est imprudent. Autrement, les statistiques que j’ai
données il y a un instant sont incompréhensibles.
Deuxièmement,
je pense que les personnes sceptiques à l’égard de la mort assistée ont une
conception trop étroite de la vulnérabilité. Elles pensent aux personnes
seules, aux personnes handicapées, aux personnes peu instruites et aux
personnes aux revenus modestes. D’après mon expérience, la vulnérabilité touche
toutes les strates de la société, y compris les individus les plus instruits,
les plus riches, ceux qui possèdent parquet et piano à queue. Georges et Anne
dans le film Amour de Michael Haneke ne sont pas moins
vulnérables que les plus démunis. Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est une
incapacité à faire face aux aspects sombres de la vie humaine.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, que ce soit clair, je ne suis pas opposé par principe à
l’euthanasie, mais je me demande si la légalisation n’a pas eu plus
d’inconvénients que d’avantages.
+++
Nous suivrons attentivement au fil des prochains mois les travaux du Sénat
français qui pourra proposer une série d’amendements à ces deux projets de loi.
Notons que le gouvernement français souhaite les adopter définitivement avant
2027.
JUL
2025