Au menu de la semaine, retour sur un webinaire fort instructif de MEMO-Qc et un appel à la mobilisation en amont du retour à la Chambre des communes du projet de loi C-314 pour qu’un trouble mental ne soit pas reconnu comme « un problème de santé grave et irrémédiable à l’égard duquel une personne pourrait recevoir l’aide médicale à mourir ». Un sondage Angus-Reid aborde également cet élargissement controversé de l’accès à l’aide médicale mourir (désiré par une minorité de Canadiens et de Québécois) et vous le retrouverez dans notre revue de presse hebdomadaire.
Bonne lecture,
Jasmin Lemieux-Lefebvre
Coordonnateur
Réseau citoyen Vivre dans la Dignité
Personnes en situation de handicap : le manque de soins et de services mène-t-il à l’aide médicale à mourir?
Le 27 septembre dernier, Moelle épinière et motricité Québec (MEMO-Qc) organisait un webinaire à l’occasion des Journées québécoises des lésions médullaires. Cet échange est disponible sur la page Facebook de l’organisme:
https://www.facebook.com/MEMOQuebec/videos/3610077749312112.
Voici quelques faits saillants que nous avons partagé sur nos réseaux sociaux (X/Twitter, Facebook, LinkedIn) :
14:55 Début officiel
25:13 Témoignage de M. Jean Robert Gay, pharmacien pendant 25 ans, paraplégique depuis 50 ans. Une sténose le garde maintenant au lit presque toute la journée, il a des plaies de pression depuis 5 ans et le cancer. Les injections caudales prescrites pour traiter la douleur sont en attente… de deux ans (!) en Outaouais, sans compter un manque de services pour traiter adéquatement ses plaies. Il considère maintenant l’aide médicale à mourir. M. Gay devrait avoir accès aux soins requis pour vivre, nous espérons que sa situation sera appelée à changer rapidement.
45:36 La députée libérale Elisabeth Prass mentionne qu’elle aurait aimé ajouter un amendement au projet de loi 11 qui aurait interdit de proposer l’AMM parmi les soins offerts à une personne en situation de handicap. Pour elle, cette situation aurait même dû être considéré comme un crime « car c’est proposer la mort lorsqu’il y a d’autres options ».
52:06 Pour le député solidaire Vincent Marissal, « si on est en train d’envoyer du monde à la mort parce qu’on n’a pas de services (…) on est en train de trahir notre engagement ». Il ajoute qu’il est interdit au Québec d’offrir l’AMM comme option, mais simplement de répondre aux questions. Nous lui confirmons que ce n’est malheureusement pas la lecture de nombreux membres du personnel soignant sur le terrain. Un rappel important doit être effectué sur cette question.
1:04:40 Le professeur Pier-Luc Turcotte appuie l’appel de M. Marissal à documenter les cas problématiques et revient sur des amendements qui auraient dû être retenus dans le projet de loi 11.
1:12:28 Le professeur Patrick Fougeyrollas raconte le récit d’une personne en soins intensifs à qui on a demandé si elle voulait vivre et invite à un moratoire pour la mise en place de l’AMM lors de déficiences physiques et des États généraux sur l’accès aux services. M. Fougeyrollas a pu demeurer jusqu’à la fin du webinaire et toutes ses interventions mérite votre attention.
Nous espérons que la ministre Sonia Bélanger et son équipe, qui ont malheusement décliné l’invitation de MEMO-Qc, auront l’occasion de visionner ce webinaire et de poser des gestes concrets pour corriger les nombreuses problématiques exposées durant l’événement.
Revue de presse
Un projet de loi pour que l’AMM ne soit pas accessible aux personnes souffrant de troubles mentaux
Le projet de loi C-314 (https://www.parl.ca/legisinfo/fr/projet-de-loi/44-1/c-314) sera de nouveau débattu à la Chambre des communes ce jeudi 5 octobre prochain. Présenté par le député conservateur Ed Fast, il s’agit avant tout d’un enjeu non-partisan qui transcender les lignes de parti. S’il n’est pas adopté, les Canadiens dont le trouble mental est le seul problème médical invoqué pourront avoir accès à l’aide médicale à mourir dès le 17 mars prochain s’ils respectent les autres critères de la loi.
Afin de vous encourager à inviter votre député fédéral à soutenir le projet de loi C-314 (lien pour trouver ses coordonnées), nous vous partageons quelques idées partagées par le Dr K. Sonu Gaind, l’une des voix les importantes au pays pour s’opposer à cet élargissement (résumé de ses propos):
1. Les affirmations selon lesquelles « seules quelques personnes » seront touchées par cet élargissement est une fausse réassurance. En réalité, le Canada dispose de moins de garanties que les pays du Benelux (dans ces pays, la personne doit être au stade de la futilité du traitement ; la loi canadienne permet aux personnes d’obtenir l’AMM même lorsque d’autres options de traitement standard sont disponibles ou n’ont pas été essayées).
2. Les affirmations selon lesquelles la décision d’autoriser l’AMM pour les maladies mentales a suivi un processus robuste ne sont tout simplement pas vraies. La clause a été introduite à la Chambre des communes en tant qu’amendement le 23 février 2021, en réponse à la recommandation du Sénat (non élu). Le 17 mars 2021, après une seule soirée de débat (3 heures), l’amendement imposant que l’AMM pour les maladies mentales soit autorisé a été adopté. Ce n’est pas un processus robuste.
3. Toute évaluation objective montre que la politique gouvernementale actuelle concernant l’AMM pour les maladies mentales est de plus en plus dirigée par un petit nombre de partisans de l’élargissement, et que les balises n’ont pas été mises en place.
4. Aucun cas de maladie mentale n’a été jugé ni dans l’affaire Carter c. Canada ni dans l’affaire Truchon (en fait, une mention spécifique est faite pour souligner que la maladie mentale n’était pas présente dans ces cas). La Cour suprême a ouvert la voie à l’AMM dans certaines circonstances, mais elle n’a pas imposé ou exigé l’AMM pour la seule maladie mentale.
5. Pour ce qui est des affirmations selon lesquelles la pauvreté ne stimulera pas les demandes d’AMM pour les maladies mentales : il est bien documenté que certaines personnes obtiennent déjà l’AMM élargie en raison de la souffrance sociale, de la pauvreté, de l’insécurité du logement, etc. Certains bioéthiciens favorables à l’expansion de l’AMM ont même défendu l’idée que c’est « acceptable » de fournir l’AMM pour la souffrance sociale, en prétendant de manière incroyable que c’est une « réduction des méfaits (harm reduction) ».
6. Des Canadiens marginalisés atteints de maladies mentales, qui pourraient s’améliorer, recevront plutôt l’AMM pendant des périodes marquées par le désespoir et la souffrance sociale.
7. Il ne s’agit pas (ou ne devrait pas s’agir) d’une question partisane – les mises en garde concernant l’offre de l’AMM pour les maladies mentales ne concernent pas la politique ou l’idéologie. Malheureusement, dans ce débat polarisé, ces mises en garde ont été rejetées comme « simplement l’opinion de l’autre camp ». Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. De telles affirmations rejettent à tort les préoccupations légitimes dans ce débat complexe.
Pour approfondir la réflexion du Dr. Gaind, nous vous proposons sa participation (en anglais) à la John McKenzie Lecture in Medical Ethics and Professionalism (Université du Manitoba) et sa page traitant de ses nombreuses interventions sur l’aide médicale à mourir.
OCT
2023