Et si on se trompait?

Lettre d'opinion envoyée au journal La Presse, le 12 avril 2016


 

Quand un suicide est-il bon, quand est-il mauvais? Quand doit-on sauver un suicidaire, ou le dissuader, et quand doit-on au contraire le laisser faire, compléter son acte ou même mettre fin à ses jours nous-même pour lui rendre service? Ceux qui vous diront que ce n'est jamais rien d'autre qu'une question de liberté et d'autonomie auront de toute évidence choisi un raccourci, un cliché. Une réduction de la réalité en somme.

En adhérant froidement à cette logique, on peut même en arriver à justifier l'initiative des centaine d'autochtones qui depuis un an ont attenté à leur vie. Ou bien à justifier ce que font de plus en plus de médecins du Québec, c'est à dire laisser des patients mourir à l'urgence suite à une tentative de suicide, sans les traiter, en affirmant vouloir respecter leur liberté (un nouveau comportement médical dont le Collège des Médecins du Québec a admis l'existence dans un communiqué ambigu publié le mois dernier). Et si on se trompait, et si cette personne intoxiquée ne faisait que lancer un cri d'aide?

À ma première garde en carrière comme chirurgien orthopédiste en 1996, mon premier cas fut un homme qui s'était jeté devant le métro. Nous l'avons opéré toute la nuit (multiples fractures, hémorragies, etc.). Il a passé bien près de cette mort qu'il désirait en sautant. Il a survécu, et quelques années plus tard il est venu me voir pour me montrer la photo de sa nouvelle fiancée. Heureux, et les yeux pleins de gratitude pour ce que nous avions fait pour lui cette nuit-là. Un visage que je ne peux oublier et qui allait marquer le reste de ma carrière.

Il n'est que trop évident que depuis que les gouvernements et les médias ont décidé de présenter la mort comme un droit et une délivrance, le tout avec la bénédiction de la Cour suprême et l'offre d'assistance du pouvoir médical, cette option voit sa popularité augmenter. C'était prévisible qu'une telle publicité positive fasse des dommages collatéraux chez les plus vulnérables. Les autochtones qui survivent dans des conditions de misère ne sont que le premier exemple de groupe à risque dont les fragilités peuvent facilement devenir hors de contrôle. Les personnes abandonnées (comme mon patient de 1996), les malades chroniques, les psychiatriques, etc. suivront.

Comment des personnes qui peinent à trouver un minimum d'espoir réagissent-elles en entendant leur premier ministre dire que c'est fantastique d'avoir la liberté de mourir quand tu le décides, que les journaux disent que c'est "héroïque" d'avoir le courage d'en finir lorsque ta vie n'a plus de dignité? Il ne faut parfois alors rien de plus qu'une petite étincelle pour passer à l'acte. Et la pire étincelle c'est la contagion, comme le démontrent les épidémies de suicide des réserves autochtones.

Dans un combat de mots hautement idéologique, des imprudents ont clamé sur les tribunes que le suicide est souvent noble et bon. Ce n'est pas vrai. Le suicide n'est pas bon, n'est pas beau en soi. Au mieux il est excusable ou compréhensible. Un mal, avec parfois l'allure d'un moindre mal. Mais un mal quand même. Cessons donc de le célébrer et d'en faire la promotion comme des idiots sans penser aux conséquences de nos mots. La prévention du suicide a toujours été et reste de la bonne médecine.

Efforçons-nous donc d'offrir avec humilité et intelligence plus d'aide à vivre à ceux et celles qui souffrent dans leur corps, dans leur âme ou dans leur collectivité.

Dr Marc beauchamp MD FRCSC

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