Euthanasie: analyse du 1er rapport annuel de Santé Canada


Nous reproduisons ici, avec la permission du directeur exécutif de la Euthanasia Prevention Coalition (EPC), Alex Schadenberg, son analyse du premier Rapport annuel de Santé Canada relativement à la situation de l’aide médicale à mourir (AMM : euthanasie et suicide assisté) au pays. Elle fut diffusée le 25 juillet 2020 sur le site internet de l’EPC. L’analyse demeure pertinente même si elle mentionne le maintenant défunt projet de loi C-7 (disparu depuis la prorogation du Parlement canadien), car il reviendra avec un nouveau nom sous une forme similaire.

Rapport sur l’AMM au Canada
Augmentation de 26% des décès par euthanasie en 2019. L’histoire cachée des abus.


Santé Canada a publié le premier rapport annuel sur l’euthanasie et le suicide assisté (AMM). Les données ont été recueillies dans les rapports soumis par les médecins ou les infirmières praticiennes qui ont provoqué les décès. Il n’est pas exigé qu’une tierce partie ou une personne neutre soumette les rapports d’euthanasie pour en assurer l’exactitude.

Contrairement au plus récent rapport québécois sur l’euthanasie (octobre 2019), les données contenues dans ce rapport ne visent pas à mettre au jour d’éventuels abus de la loi. Les données du rapport québécois indiquent qu’au moins 13 décès assistés n’étaient pas conformes à la loi.

Le rapport fédéral concerne les décès par AMM au Canada en 2019 et indique que le nombre de morts assistées augmente :

– En 2019, 5 631 décès par AMM ont été signalés au Canada, soit 2% de tous les décès.

– Le nombre de cas d’AMM en 2019 représente une augmentation de 26,1% par rapport à 2018, chaque province connaissant une croissance constante du nombre de cas d’AMM depuis sa légalisation en 2016.

– Si l’on considère toutes les sources de données, le nombre total de morts médicalement assistées signalées au Canada depuis la légalisation jusqu’au 31 décembre 2019 est de 13 946.


L’AMM est le plus souvent administrée à domicile ou dans un cadre hospitalier.

– La plupart des AMM sont administrées dans les hôpitaux (36,3 %) (à l’exception des lits/unités de soins palliatifs) et les résidences privées des patients (35,2 %). Les autres cas d’AMM se sont produits dans des unités de soins palliatifs (20,6 %), des établissements de soins spécialisés (6,9 %) ou dans d’autres milieux (1,0 %).

– En 2019, 1 271 praticiens exerçant à titre individuel ont procédé à des AMM : des médecins de famille (65%), des spécialistes en soins palliatifs (9,1%) et des anesthésistes (5%).

Nature de la souffrance chez les personnes qui ont reçu une AMM:

– Les praticiens ont indiqué que la souffrance des patients demandant l’AMM était étroitement liée à une perte d’autonomie.

– La raison la plus fréquemment citée pour expliquer la souffrance intolérable du patient était la perte de la capacité à s’engager dans des activités significatives de la vie (82,1 %), suivie de près par la perte de la capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne (78,1 %), et le contrôle inadéquat des symptômes autres que la douleur, ou l’inquiétude à ce sujet (56,4 %).

Le quart des demandes écrites d’AMM n’ont pas abouti à une mort assistée.

– 7 336 demandes écrites d’AMM ont été signalées en 2019. Parmi ces demandes, 26,5 % (soit 1 947) n’ont pas abouti à une AMM parce que les patients sont décédés avant de la recevoir (57,2 % soit 1 113 cas), ont été jugés inéligibles (29,3 % soit 571 cas) ou ont retiré leur demande (13,5 % soit 263).

– Les raisons les plus fréquemment citées pour lesquelles une personne a été jugée inéligible au programme d’AMM (7,8 % des demandes écrites) sont les suivantes : incapacité à prendre des décisions en matière de soins de santé (32,2 %); la mort naturelle de la personne n’était pas raisonnablement prévisible (27,8 %) ; et la personne n’était pas dans un état avancé de déclin irréversible de ses capacités (23,5 %).

– Parmi les personnes jugées admissibles au programme d’AMM, mais qui ne l’ont pas reçu, la majorité est décédée d’une autre cause avant l’administration (15,2 %), tandis qu’un petit nombre (3,6 %) de personnes ont retiré leur demande après avoir été jugées admissibles.

Le rapport souligne que de nombreuses personnes commencent le processus d’AMM par une demande orale. La loi n’exigeant un suivi qu’après la réception d’une demande écrite, certaines demandes d’AMM ne sont donc pas signalées.

Le rapport indique que 20,6 % des morts assistées ont eu lieu dans le cadre des soins palliatifs et 9,1 % ont été provoquées par un spécialiste des soins palliatifs.

Aussi bien les professionnels que les organisations spécialisées en soins palliatifs, qui se sont opposés à la légalisation de l’AMM, sont maintenant forcés d’y participer. La Delta Hospice Society, une organisation caritative indépendante de soins palliatifs, se voit forcée par le ministre de la santé de la Colombie-Britannique de pratiquer l’euthanasie sous peine de perdre son financement.

Bien que le rapport indique que la loi fédérale ne force pas les médecins ou les infirmières praticiennes à participer à l’AMM, certaines provinces font pression sur les médecins pour qu’ils y participent.

En mai 2019, la Cour d’appel de l’Ontario a décidé que les médecins opposés à l’euthanasie devaient y participer en référant leur patient à un autre médecin. En mars 2020, le Collectif des médecins contre l’euthanasie a signalé qu’un nombre croissant de médecins se font intimider pour participer à l’AMM.

Le rapport indique que 41,2 % des personnes décédées par AMM en 2019 avaient besoin de services de soutien pour personnes vivant avec un handicap, et que 89,8 % d’entre elles recevaient ces services. Les données ne fournissent pas d’information quant au niveau des services. Certaines de ces personnes, auxquelles on a refusé le niveau de soutien dont elles avaient besoin, se sont vu offrir l’AMM. Un exemple : Roger Foley, de London en Ontario, s’est vu refuser des soins à domicile autogérés, mais s’est vu proposer l’euthanasie.

Le rapport ne cherche pas à mettre en lumière les abus de la loi et n’a pas suivi les histoires négatives. Par exemple, en août 2016, Candice Lewis (25 ans), alors soignée dans un hôpital de Terre-Neuve, a subi des pressions pour « demander » une mort assistée. Personne ne remet en question le fait que Candice était très malade, mais comme sa mère l’a dit à CBC News, le médecin a fait pression sur elle pour qu’elle demande une mort assistée. Candice ne l’a jamais demandée. 

En août 2019, Alan Nichols est mort par euthanasie, même après que sa famille eut insisté sur le fait qu’Alan n’était pas compétent pour prendre cette décision et qu’il vivait avec une dépression chronique.

Au Québec, en septembre 2019, la juge Baudouin a annulé l’exigence de la loi canadienne sur l’euthanasie suivant laquelle une personne doit être en fin de vie. Le gouvernement fédéral n’en a pas appelé de cette décision.

En éliminant le critère de « mort raisonnablement prévisible » de la loi, on a ouvert la porte à l’euthanasie de personnes souffrant de maladies mentales.

Le 24 février, le gouvernement fédéral du Canada a présenté le Projet de loi C-7 visant à élargir l’accès à l’euthanasie.

Que fait le projet de loi C-7 ?

1. Le projet de loi C-7 supprime l’exigence de la loi selon laquelle la mort naturelle d’une personne doit être raisonnablement prévisible pour qu’elle puisse se qualifier et recevoir une aide médicale à mourir.

Par conséquent, des personnes qui ne sont pas en fin de vie peuvent mourir par euthanasie. La décision du tribunal québécois n’exigeait que cette modification-là à la loi, mais le projet de loi C-7 va plus loin.

2. Le projet de loi C-7 permet à un médecin ou à une infirmière praticienne de faire une injection létale à une personne incapable de consentir, si cette personne a déjà été approuvée pour une mort assistée. Cela est contraire à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter – décision suivant laquelle seules les personnes compétentes pouvaient mourir par euthanasie.

3. Le projet de loi C-7 élimine la période d’attente de 10 jours si la mort naturelle d’une personne est jugée raisonnablement prévisible. Ainsi, une personne pourrait demander la mort par euthanasie un « mauvais jour » et mourir le même jour. Des études prouvent que la « volonté de vivre » fluctue.

Le rapport indique que dans 65,7 % des cas de décès par AMM, l’AMM a été administrée après la période de réflexion de 10 jours. Dans les autres 34,3 % des décès par AMM, ce délai a été réduit, la plupart des praticiens (84,4 %) donnant comme raison principale la perte imminente de la capacité de consentement de leur patient.

 La mort imminente a été mentionnée dans 45,4 % de ces cas. Le projet de loi C-7 n’a pas besoin d’éliminer la période d’attente de 10 jours puisque dans plus du tiers des cas de décès, la période d’attente est déjà supprimée.

Par exemple, en novembre 2016, l’EPC a rapporté le cas d’une femme qui n’avait peut-être qu’une infection de la vessie et qui est morte par euthanasie. Même dans ce cas, peu après la légalisation, le médecin a renoncé à la période d’attente de 10 jours.

4. Le Projet de loi C-7 crée une loi à deux vitesses. Une personne dont la mort naturelle est considérée comme raisonnablement prévisible n’aura pas de période d’attente, tandis qu’une personne dont la mort naturelle n’est pas considérée comme raisonnablement prévisible devra attendre 90 jours avant d’être tuée par injection létale.

5. Tel que mentionné précédemment, le projet de loi C-7 prétend faussement empêcher l’euthanasie des personnes atteintes de maladie mentale. La loi sur l’euthanasie autorise l’AMM pour les personnes qui souffrent physiquement ou psychologiquement de façon qu’elles jugent intolérable – souffrance qu’on ne peut soulager de façon acceptable selon elles. Or, la maladie mentale, qui n’est pas définie dans la loi, est considérée comme une forme de souffrance psychologique.

Le projet de loi C-7 va beaucoup plus loin que la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec. Le gouvernement canadien doit rejeter le Projet de loi C-7 et entamer la révision quinquennale promise de la loi sur l’euthanasie en considérant honnêtement les faits plutôt qu’en poursuivant l’expansion de l’euthanasie pour faire du Canada le pays le plus permissif au monde dans ce domaine.


À titre indicatif, la pétition qui rejetait le défunt projet de loi C-7 sur l’euthanasie (en anglais).

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