La loi 52 ne doit pas être mise en application

Dans son article du 14 juin portant sur la nouvelle loi 52, loi dite sur les soins de fin de vie, M Benoît Bouchard démontre qu’il a bien compris le fond du problème. Ce n’est pas une question de souffrance dans les derniers jours que les tenants de la loi 52 visent. Ça c’est l’alibi, la justification morale, qui veut laisser croire qu’on veut cette loi pour ne pas laisser les mourants dans leur douleur.

Pourtant, quand on est médecin on sait que nos moyens de traiter cette souffrance sont extrêmement efficaces, et mes collègues des soins palliatifs le savent mieux que n’importe qui. Ils sont donc allés présenter à la commission Mourir Dans la Dignité pour le faire savoir aux politiciens.

À cette commission tous les médecins cliniciens actifs sauf un ont d’ailleurs plaidé pour ne pas introduire l’euthanasie/aide médicale à mourir dans le système de santé.

Résultat: rien. Aucune mention de ces faits dans le rapport final.

Plus tard, en commission parlementaire à Québec, les spécialistes en soins palliatifs sont retournés le réaffirmer aux membres de cette commission (formée presque exclusivement de supporteurs de l’euthanasie). Pendant cette commission, en septembre dernier, ils leurs ont même montré un vidéo d’un médecin Belge pratiquant régulièrement des euthanasies qui affirmait ceci : « si je pratiquais une euthanasie à une personne dans la douleur, ce serait vraiment criminel », signifiant par là que l’injection létale c’est pour ceux qui ont décidé de mourir, pas pour ceux dont on ne peut contrôler la douleur.

Résultat : rien encore. Pourquoi les députés ont ils choisi de ne pas les écouter?

Sûrement pas parce que les médecins qui pratiquent en soins palliatifs sont des hurluberlus non crédibles, au contraire. Mais ces médecins trop scrupuleux menacent de bousiller le plan. Ces spécialistes de la fin de vie leur ont démontré que l’argument de la souffrance intraitable était un faux. Les supporteurs de la loi 52 ont décidé de le garder malgré tout comme arme de vente sous pression pour faire accepter la loi.

Encore aujourd’hui les politiciens continuent contre toute décence de faire le spectacle de ceux qui s’intéressent aux patients à leur dernière agonie, alors qu’il appert que c’est à un tout autre groupe qu’ils espèrent éventuellement offrir la mort sur demande: ceux qui se savent malades et qui décident de mourir avant de souffrir, et un peu plus tard les personnes démentes (dernier article  du rapport de la commission Mourir dans la dignité).

Le processus menant à cette loi n’a donc pas été aussi démocratique qu’on le proclame en ce moment. Si on veut faire une analogie, on dira que c’est un peu comme si une commission étudiant les causes de l’effondrement d’un pont avait décidé après les avoir écouté de ne pas tenir compte des avis des ingénieurs en structure qui auraient déposé leur expertise… Dans un tel cas on parlerait d’un processus biaisé.

L’adoption de la loi 52 a été le fruit non pas d’un exercice juste et démocratique, mais plutôt d’une entente non partisane (ce ne sont pas des synonymes), car il y a des députés pro euthanasie dans les 4 partis. Et ensemble ils ont muselé leurs collègues qui comme nous ont des inquiétudes sérieuses sur la sécurité des personnes vulnérables (demandez à M Gerry Sklavounos, démissionnaire de la commission Mourir dans la dignité si le processus était vraiment démocratique!). À peine élu, M Couillard a même forcé le vote unanime de son caucus, et donc de ses 22 députés réfractaires à se soumettre à sa décision de réintroduire le PL 52 sous sa forme telle qu’elle était avant les élection, alors que des amendements significatifs auraient encore pu lui être apportés si on avait retravaillé le texte avec les nouveaux députés fraichement élus. Rien de démocratique là dedans.

Il y a une hypocrisie impressionnante qui se déploie devant nous, avec manipulation du vocabulaire, intention cachée, astuces de tromperie, et tout ça avance tranquillement grâce à la complicité des politiciens et des médias. Le problème ici c’est que ce dont il est question ce n’est pas de la couleur de la margarine, pas plus comme je l’ai mentionné plus haut de la douleur des gens. C’est de la vie et de la mort.

Mon épouse est médecin oncologue. Elle frémit à l’idée de voir ses patients se présenter à elle avec leur famille en disant: « je n’en veux pas de vos traitements. Injectez-moi ma dose mortelle maintenant car je ne veux plus vivre cette maladie. Elle me fait peur et je souffre psychologiquement de façon inacceptable. C’est mon droit, vous n’avez pas le choix. Vous le faites ou vous me trouvez quelqu’un pour le faire à votre place ». Elle n’aura aucun recours pour se défiler, elle qui travaille dans un hôpital universitaire.

Nous sommes plus de 600 médecins à avoir signé un manifeste disant que nous refusons de participer à ces mises à mort, et plusieurs centaines d’autre se joindront à nous quand ils comprendront que la menace est réelle. On voudra les dépeindre comme des sans pitiés, des ennemis de la dignité des patients. Comme si leur pratique actuelle était cruelle et dénuée de toute compassion. Alors que la vérité c’est que ces centaines de médecins comptent parmi les plus exceptionnels individus de notre société, des personnes de cœur qui croient à la noblesse de leur profession et qui veillent avec dévouement au chevet des personnes les plus amoindries. Ce faisant en affirmant leur totale dignité jusqu’à la fin naturelle de leur vie. On nous dit qu’il faudra 12 à 18 mois avant que la loi ne soit en application.

Cette loi doit plutôt ne jamais entrer en application car elle n’apportera pas le bien qu’elle nous promet, et elle apportera le mal qu’elle nous cache.

Dr Marc Beauchamp MD FRCSC

Chirurgien orthopédiste

Signataire du Collectif des médecins contre l’euthanasie

Président du groupe Vivre Dans la Dignité

Article initialement publié dans la colonne des Opinions du Journal de Montréal le 16 juin 2014

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