Balado Le labyrinthe de Lyme

Précisions sur le labyrinthe de l’AMM

Balado Le labyrinthe de Lyme :
précisions sur le labyrinthe de l’AMM

Lancée le 21 mai dernier sur Radio-Canada OHdio, la 4e saison de la série balado Dérives fait beaucoup jaser. Extrait du communiqué de lancement :

Pourquoi la maladie de Lyme est un sujet polarisant qui suscite la controverse? Avec cette nouvelle saison du balado Dérives intitulée Le labyrinthe de LymeOlivier Bernard, pharmacien et vulgarisateur scientifique, fait la lumière sur les croyances autour de cette maladie et remet en perspective ses doutes et certitudes.

Toute cette saison mérite votre attention (un travail important d’Olivier Bernard et de son équipe), mais nous tenons à réagir à certains des propos exprimés lors de l’épisode 6B, dont voici la description :

6B – Le labyrinthe de Lyme : vortex, 2e partie

En 2024, un premier cas d’aide médicale à mourir (AMM) pour une personne se disant atteinte de la forme chronique de la maladie de Lyme est rapporté dans les médias. Avec le Dr Georges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, Olivier Bernard s’interroge à propos des critères d’admissibilité à l’AMM. Olivier s’attarde aussi à la façon dont les décès par suicide en lien avec la maladie de Lyme sont rapportés dans les médias, et sur la manière dont ils sont racontés par la communauté de Lyme chronique.

Note importante : comme ce balado est le fruit de montages d’entrevues et de segments, nous ne prétendons pas que les propos mentionnés expriment de façon complète la pensée de leurs auteurs. Notre objectif est de clarifier les propos contenus dans le montage final du balado.

Voici trois extraits transcrits, avec nos commentaires :

SEGMENT 1 À 9:59

Dr George L’Espérance : Les personnes qui sont en fin de vie et qui ne peuvent obtenir une aide quelconque pour mettre fin à leurs souffrances, qu’est-ce qu’il leur reste comme choix ? Le suicide, et le suicide dans des conditions la plupart du temps extrêmement déplorables.

Olivier Bernard : Une des choses qui a fait avancer l’aide médicale à mourir, c’est pour prévenir des suicides dans un sens, ou des morts violentes, en fait.

Georges L’Espérance : Tout à fait exactement.

REMARQUES :
a) « Qu’est-ce qu’il leur reste comme choix ? Le suicide. ». Cet extrait du balado peut laisser penser que le suicide est une option dans ces circonstances. Soulignons que de nombreuses personnes se voient refuser chaque année l’AMM; la Commission sur les soins de fin vie ne tient pas de statistiques sur les évaluations menant à un refus, mais selon le dernier rapport annuel, en page 20 : 579 personnes n’ont pas reçu l’AMM en 2023-2024, car elles ne répondaient pas ou plus aux critères d’admissibilité. Il est important de rappeler haut et fort que le suicide ne devrait jamais être considéré comme une option et que tous les efforts doivent être déployés pour soulager la souffrance, que ce soit par des soins palliatifs ou d’autres mesures de soutien. Nous soulignons que l’équipe du balado a très bien mis en évidence les ressources de prévention au suicide.

b) Quant à l’argument voulant que l’AMM permet d’éviter des morts violentes par suicide, aucune recherche scientifique ne vient confirmer cette hypothèse. Comme au Canada, les juridictions qui ont ouvert la porte à une forme de mort assistée n’ont pas constaté de baisse des taux de suicide. Ajoutons ces mots de la Dre Ramona Coelho, l’une des auteurs du livre Unravelling MAiD in Canada (Démêler l’AMM au Canada), publié en avril aux éditions McGill-Queen’s University Press (notre traduction) :

La littérature sur la prévention du suicide montre systématiquement que l’exposition à des messages suicidaires et l’accès facile à des moyens létaux augmentent le risque de suicide. Pourtant, l’aide médicale à mourir est présentée comme une option compatissante, laissant entendre que la mort est une solution à la souffrance, et les moyens létaux sont facilement fournis (BJM Supportive & Palliative Care, décembre 2024).


SEGMENT 2 À 10 :29

Olivier Bernard : En résumé, en 2014, une première loi sur les soins de fin de vie a été adoptée au Québec. Ça permettait à une personne d’obtenir l’aide médicale à mourir si elle était justement en fin de vie, par exemple à cause d’un cancer généralisé. Mais en 2015 une décision de la Cour suprême du Canada a permis d’élargir ces critères-là en éliminant celui de fin de vie. Ce qui nous amène aux critères actuels au moment où je travaille sur le balado, à l’automne 2024.

George L’Espérance : Il faut que le patient soit majeur. Il faut qu’il soit apte à rendre ses décisions pour lui-même. Ça c’est le critère médical le plus important, le premier je dirais. Il faut que le patient ait une maladie grave et incurable. Il faut qu’il y ait un déclin avancé irréversible de sa situation et il faut qu’il y ait des souffrances physiques ou psychologiques ou existentielles intolérables.

Olivier Bernard : Bref, une personne n’a plus besoin d’être atteinte d’une maladie mortelle, si elle juge que sa vie est devenue insupportable à cause d’un problème de santé. Elle est potentiellement admissible à l’AMM et c’est la personne elle-même qui évalue la gravité de son état.

George L’Espérance : Et ça c’est très important. Les souffrances, c’est pas selon ce que le médecin pense ou l’infirmière ou le pharmacien ou la famille. C’est selon ce que le patient ressent et malheureusement on l’entend encore trop : «mais mon docteur m’a dit que j’étais pas rendu là ». C’est pas au docteur à décider si le patient est rendu là, s’il ne peut plus souffrir. C’est le patient qui ressent la souffrance dans son corps, c’est pas la personne en face de lui. Voyons. C’est facile de parler de maladie lorsque l’on est en santé.

REMARQUES :
a) L’élimination du critère de fin de vie découle d’une décision de la Cour supérieure du Québec, en 2019, qui n’a pas fait l’objet d’appel. Notons que la question du critère de fin de vie fait l’objet d’un recours en justice depuis septembre 2024 alors qu’ « une coalition d’organismes de défense des droits des personnes en situation de handicap et deux personnes touchées ont déposé une contestation en vertu de la Charte devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario ».

b) Ce n’est pas « la personne elle-même qui évalue la gravité de son état », mais bien le médecin ou l’infirmière praticienne spécialisée (IPS) qui, face au patient, évalue les critères suivants :

– « maladie grave et incurable et une situation médicale qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités »;
– « une déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes ».

Oui, le critère d’ « éprouver des souffrances physiques ou psychiques persistantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables » est subjectif selon les  patients, mais il demeure que c’est aux deux professionnels compétents (médecin ou IPS) qui évaluent le patient de décider s’il peut recevoir l’AMM dans le respect de TOUTES les exigences requises par la loi.

À ce sujet, la Commission sur les soins de fin de vie est on ne peut plus claire (communication du 29 juin 2023) :

S’il appartient à la personne ayant formulé une demande d’AMM de faire état de la nature des souffrances qu’elle éprouve (élément subjectif), il appartient au médecin qui évalue si une personne est admissible à l’AMM de s’assurer que ces souffrances sont, à la lumière des informations transmises par la personne, bel et bien constantes, intolérables et inapaisables.

SEGMENT 3 À 28 :04

Olivier Bernard : Ce que je retiens de l’histoire de Stéphanie (NOTE : Stéphanie Lavoie, détails en conclusion de ce texte), c’est que son parcours a plusieurs ressemblances avec les cas de personnes décédées par suicide dans la communauté de la maladie de Lyme. J’ai reconnu la même séquence que je découvre depuis le début du balado, mais comme pour les autres histoires que j’explore, c’est pas à moi de statuer sur les problèmes de santé dont elle souffrait ni de juger si sa demande d’AMM était justifiée. C’était sa décision, puis il y a personne d’autre qu’elle qui peut dire si c’était la bonne; sauf que plusieurs autres personnes dans la communauté du Lyme chronique qui songent à l’AMM m’en ont parlé et je suis en mesure de constater qu’elles ont pas eu accès à toutes les informations scientifiquement rigoureuses sur la maladie de Lyme pour être en mesure de prendre une décision éclairée à ce sujet-là. Ça, j’en suis convaincu. Et puis même si je vais toujours respecter leur choix, il reste que moi je suis devenu pharmacien parce que je veux aider avant tout. Et puis je sens que dans ces cas-là, c’est important d’être à la fois ouvert, mais aussi critique.

Dr George L’Espérance : Ça veut pas dire qu’il faut donner l’aide médicale à mourir à toute personne qui le demande. Absolument pas. Il y a une démarche d’investigation à faire qui doit être très formelle, qui doit être je dirais quasiment rigide en fait, parce que c’est pas rien : le patient ne peut pas revenir en arrière. Mais ces patients-là ont tout à fait le droit d’être évalués et d’avoir toute notre compassion.


REMARQUES :
Oui, « la démarche d’investigation est importante » et, selon la loi, « les patients ont le droit d’être évalués » et d’avoir, bien sûr, « toute notre compassion ». On peut toutefois difficilement affirmer que personne d’autre que le patient ne peut évaluer si c’était la bonne décision. Même s’ils sont anonymisés, la Commission sur les soins de fin de vie fait état dans son rapport annuel de cas non conformes (16 selon le rapport 2023-2024, en page 8). Elle émet aussi occasionnellement des rappels à l’ordre dont celui de sa communication de l’été 2023 mentionnée précédemment, qui mettait en garde contre le phénomène du« magasinage » d’un second médecin.

La sœur de Stéphanie, Cathy, rappelle dans le balado que la demande de sa sœur « ne faisait pas l’unanimité chez d’autres médecins qu’elle avait consultés qui étaient plutôt réticents. Ils ne voyaient pas pourquoi elle était rendue en fin de vie, que c’était pas la fin; qu’il y avait sûrement encore un paquet de possibilités. »

Nous invitons la Commission sur les soins de fin de vie à faire œuvre de pédagogie en indiquant clairement qu’un diagnostic d’une forme chronique de la maladie de Lyme ne répond pas au critère de maladie grave et incurable.

Nous espérons pour la famille de Stéphanie et pour toutes les personnes touchées par la maladie de Lyme que le Québec puisse développer de meilleures façons de les accompagner quand des douleurs chroniques s’installent.

Concluons comme Isabelle Hachey dans La Presse (dans sa chronique publiée le 19 mai dernier) :

Un mot, pour finir, sur l’histoire de Stéphanie Lavoie.

Non, elle ne s’est pas suicidée. En mai 2024, elle a reçu l’aide médicale à mourir. Convaincue d’être atteinte de la maladie de Lyme, elle prenait des antibiotiques depuis cinq ans. De quoi détruire sa flore intestinale et bousiller son système digestif.

Coïncidence ou pas, à la fin de sa vie, Stéphanie Lavoie était incapable d’avaler la moindre nourriture, sauf des bananes. Quand elle est décédée, elle pesait 54 livres.

Stéphanie Lavoie souffrait beaucoup, il n’y a aucun doute là-dessus. Il reste que l’aide médicale à mourir lui a été accordée parce qu’elle se disait atteinte d’une maladie dont l’existence, sous sa forme chronique, n’a encore jamais pu être prouvée scientifiquement.

Ce n’est pas qu’une dérive ; c’est un véritable scandale.

0