Demeurer auprès des nôtres!
par le Dr Patrick Vinay
Président, Vivre dans la Dignité
Les événements de la COVID 19 nous donnent à réfléchir sur nos valeurs fondamentales et sur l’importance de nos relations vivifiantes avec les nôtres. Sans vouloir critiquer les autorités qui se sont appliquées de leur mieux, et à la hauteur des connaissances disponibles, à organiser nos défenses au cours de cette pandémie, il nous faut réfléchir à nos choix et aux gestes posés dans les lieux de vie dédiés aux personnes âgées. Une souffrance s’y est imposée particulièrement: à cause des politiques sanitaires de confinement qui n’avaient pas prévu le cours des choses, plusieurs familles ont dû abandonner leurs proches hébergés alors que beaucoup mouraient des complications de la COVID. Il faut maintenant élaborer pour le futur des politiques sanitaires qui tiennent mieux compte de ce que vivent les aînés et de leur besoin vital de contact avec les leurs.
Nos soignants, avec leurs masques, leurs blouses, leurs visières et toutes les précautions raisonnables implantées pour se protéger, ont agi en fonction de la priorité donnée aux soins des malades, tout en en acceptant pour eux-mêmes les risques de la pandémie.
Nous admirons leur dévouement et nous sommes éclairés par leur témoignage: leur détermination offerte en dépit du danger potentiel n’a pas retenu leurs mains. Ils étaient là. Ils ont fait tout leur possible, et l’armée canadienne est venu les aider avec beaucoup de compétence. C’est certainement un côté lumineux de cette pandémie. Notre reconnaissance va vers eux tous, mais cela ne nous dispense pas de réfléchir au futur.
En effet, nos parents malades ou confinés en CHSLD ont été privés de la visite de leurs proches afin de les protéger comme aussi leurs familles immédiates, les autres bénéficiaires, les soignants locaux ainsi que toute la société qui gravite autour de ces lieux de vie. Aurait-on pu faire autrement? Même si nos aînés ont bénéficié du travail des préposés et des soignants, ils ont perdu cette présence familière et aimante des leurs qui change la couleur du présent. Ils ont été condamnés à la solitude, à la perte de ces repères d’humanité que sont leurs proches. Et ceux-ci ont été privés du privilège d’être présents avec eux, surtout lors des derniers moments de vie. Or, les personnes en fin de vie traversent une profonde période de maturation identitaire. Ils ont particulièrement besoin des contacts avec les leurs, d’échanges avec eux, de la reformulation explicitée de leurs choix, afin de faire face aux questions qui surgissent en eux. Ils ont besoin du réconfort qui découle de l’amour des leurs. Les priver des visages chers à ce moment de grande mobilité intérieure fait jaillir de nouvelles souffrances bien réelles, et également contagieuses à leur façon. Cela les prive du désir de vivre et contribue ainsi à leur fragilisation. Et leurs proches ne peuvent pas amorcer le processus normal de deuil qui débute au cours des derniers moments de vie avec eux: c’est un déterminant de la santé des survivants qui est menacé. Ne devrait-on pas organiser les choses autrement pour mieux préserver la présence des proches auprès des aînés en incorporant dans les équipes de soins certaines personnes significatives et en leur fournissant toutes les techniques de protection individuelle requises? Ceci permettrait de prodiguer les soins sans amputer toutes les rencontres et sans supprimer l’expression d’une humanité en maturation continue. On devrait aussi faciliter l’accompagnement par un/une bénévole, par cet étranger généreux qui donne de son temps et toute son écoute pour créer un milieu humain autour des personnes les plus seules.
Comment réintroduire ces impératifs relationnels au sein des pratiques de protection en temps de pandémie? Une réflexion et des propositions innovantes sont requises ici. Et c’est à la santé publique d’ouvrir ses yeux et ses mains pour créer des contextes plus inclusifs de ces liens précieux. Il s’agit de garder à la vie qui continue toute sa saveur malgré l’adoption des gestes de prudence.