Analyse légale du prétendu « droit à la mort »

Michel Racicot est avocat à la retraite et Vice-Président de Vivre dans la Dignité. Ses commentaires sont basés sur son témoignage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des Communes mercredi le 4 mai, 2016.

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Les gouvernements de notre pays font de grands efforts, avec des campagnes dans les médias pour tenter de prévenir le suicide. Nos politiciens font les manchettes quand une vague de suicides frappe une réserve. Mais en même temps, nous sommes sur le point d’autoriser les médecins à tuer leurs patients ou de les aider à se suicider. Allons-nous cesser d’envoyer des escouades d’urgence pour tenter de persuader un individu de ne pas se jeter d’en haut d’un pont ? Ou allons plutôt leur envoyer des médecins pour les pousser en bas fers une mort certaine ? C’est pourtant la triste réalité à laquelle nous faisons maintenant face !

Plusieurs ont fait grand état que l’“aide médicale à mourir ” est un nouveau droit garanti par la Charte. La Cour Suprême du Canada n’a pas créé dans la décision Carter un nouveau droit constitutionnel à la mort. La Cour n’a fait que conclure que les interdictions de l’aide au suicide et de l’euthanasie du Code Criminel violaient les droits existants à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Or, comme la Charte fait partie de la Constitution, la création d’un nouveau droit garanti par la Charte le “droit à la mort” aurait requis un amendement à la Constitution (en vertu de l’art. 38 de la Loi Constitutionnelle de 1982) ce qui exige la participation du Parlement fédérale et des législatures provinciales. Ceci ne peut être accompli par la Cour Suprême et la Cour n’a pas créé un nouveau “droit constitutionnel à la mort ”, mais uniquement une exemption de responsabilité criminelle.

Plusieurs ont prétendu que le Parlement était tenu d’adopter une loi dans les limites prescrites dans Carter. Le Parlement n’est pas captif de la décision de la Cour Suprême ; il n’est pas obligé d’adopter une loi qui satisfasse les balises énoncées dans Carter.

Carter est fondée sur la prémisse que l’interdiction de l’aide au suicide et de l’euthanasie vise à protéger uniquement les personnes vulnérables et non tous les Canadiens ("Ce que vise directement la mesure, c’est le but restreint d’empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à se suicider dans un moment de faiblesse." Carter, par. 78 et 119).

Le Parlement a le pouvoir de rétablir les faits et de confirmer, haut et clair dans un nouveau Projet de loi, que le but l’interdiction de l’aide au suicide et de l’euthanasie est bien de protéger tous les Canadiens et il a également le pouvoir de rétablir ces interdictions sans aucune exception malgré Carter et sans avoir à recourir à la soi-disant « clause nonobstant » de la Charte (art. 33).

Comme la Cour Suprême l’a reconnu (au par. 6), " De 1991 à 2010, la Chambre des communes et ses comités ont débattu pas moins de six projets de loi d’initiative parlementaire visant à décriminaliser l’aide au suicide. Aucun n’a été adopté. " Les présents membres de la Chambre des Communes devraient-ils complètement faire fi de la sagesse de centaines de leurs prédécesseurs qui ont décidé de ne pas décriminaliser l’aide au suicide ? Les membres du Parlement ont le pouvoir et la responsabilité d’écrire une page d’histoire pour notre société et pour nos enfants, petits-enfants et leurs descendants. Légiférer pour rétablir les interdictions éliminées en partie par Carter requiert du courage politique. Cela exige aussi que tous les membres du Parlement soient libres d’exercer leur droit de liberté conscience protégée par la Charte et sans être contraints de voter selon une ligne de parti.

Si le Parlement ne rétablit pas ces interdictions, il peut toutefois adopter des mesures pour aider à protéger tous les Canadiens puisqu’il a le pouvoir de prescrire “des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.” (Charte, art. 1). Ces limites peuvent être plus sévères que celles spécifiées dans Carter. Comme la Cour l’a reconnu : " Il faut donner au législateur l’occasion de concevoir une réparation convenable … (une exemption constitutionnelle) serait source d’incertitude, saperait la primauté du droit et constituerait une usurpation de la fonction du législateur, qui est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes. " (Carter, par. 125)

Une de ces limites serait d’imposer l’obtention d’une autorisation d’un tribunal avant de procéder avec une aide médicale à mourir, qu’elle soit sous forme du meurtre d’un médecin tuant son patient ou l’aidant à s’enlever la vie.

Dans l’Ordonnance émise par la Cour Suprême le 15 janvier dernier, la Cour a statué que “ceux qui souhaitent demander l’aide d’un médecin, dans le respect des critères énoncés au par. 127 des motifs de la Cour dans Carter, puissent, pendant la durée de la prorogation de la suspension, s’adresser à la cour supérieure de leur province ou territoire pour solliciter une ordonnance."(par. 6). Et la Cour ajoute : "Exiger l’obtention d’une autorisation judiciaire durant cette période intérimaire assure le respect de la primauté du droit et offre une protection efficace contre les risques que pourraient courir les personnes vulnérables.”(idem).

Pourquoi ce raisonnement ne serait-il valide que jusqu’au 6 juin et ne le serait plus par la suite ? Les abus et les erreurs sont possibles, et, en ce qui concerne l’aide médicale è mourir, l’erreur ou l’abus sera fatal. Nous demandons donc au gouvernement fédéral de modifier le Projet de Loi C-14 pour exiger que l’aide médicale à mourir ne puisse être pratiquée sans l’autorisation préalable d’un tribunal. Et ceci peut se faire de manière très expéditive tel qu’il a été démontré dans les dossiers dans lesquels cela a été permis depuis le 15 janvier.

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