Euthanasie: les médecins de l’Ontario obligés de référer

Le 15 mai dernier, la Cour d’appel de l’Ontario a validé les mesures du Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario qui obligent ses membres à référer « de façon effective » tout patient requérant un acte médical qu’ils refusent de pratiquer, comme l’euthanasie (« aide médicale à mourir »).

L’Ontario devient ainsi le seul endroit au monde où les médecins sont assujettis à une telle obligation.

Trouver un équilibre

Notons d’emblée que, dans sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que cette obligation de référer constituait une transgression au droit à la liberté de religion. Elle a toutefois affirmé que ce bris de liberté était « raisonnable » en vertu d’un objectif « d’accès équitable aux soins de santé ».

Or, deux raisons majeures contredisent le caractère « raisonnable » du fait de brimer l’objection de conscience des médecins. La première raison est absolue, et consiste dans le fait – maintes fois rappelé – que l’acte de mettre une personne à mort par injection létale ne constitue pas en soi un soin de santé. La deuxième raison concerne la relation du médecin avec son patient. En effet, si le médecin refuse de donner suite à une demande d’euthanasie, c’est qu’il juge que son choix est conforme au bien-être du patient, au respect de sa vie et de sa dignité. Par ailleurs, ce refus n’empêche pas le médecin d’écouter, de conseiller et de guider son patient pour lui permettre de prendre une décision réfléchie, avec la liberté de s’orienter autrement pour la suite dans le système de santé. Même si ce refus de référer peut avoir une incidence sur le processus, un éventuel délai est loin d’être un bris de liberté, mais manifeste plutôt une prudence devant un choix irrémédiable dont la gravité morale invite à une réflexion approfondie.

Un tel équilibre entre le droit fondamental du médecin et le respect de la liberté du patient est non seulement possible, mais il est salutaire. En effet, si l’on force aujourd’hui les médecins à être complices d’un acte grave qu’ils jugent contraires à leurs convictions profondes, que leur demandera-t-on demain? Et comment pourrons-nous nous fier à des médecins qui acceptent d’agir contre leurs propres convictions, et acceptent de poser des gestes qui vont à l’encontre de leur propre jugement professionnel? L’euthanasie avait pourtant été présentée comme une mesure exceptionnelle, et ce, sur fond de divisions sociales importantes sur la question. Comment peut-on, si peu de temps après sa légalisation, proposer candidement à ceux qui refusent un tel acte de « changer de spécialisation », voire de « quitter la médecine »? De telles propos font redouter une discrimination injustifiée dans le cadre d’un enjeu aussi complexe et grave. Cette dérive nous fait apprécier davantage l’importance d’assurer la libre expression de consciences formées et bien averties.

Bien comprendre l’objection de conscience

Dans sa décision, et ceci est notable, la Cour d’appel de l’Ontario a pourtant refusé de se prononcer sur le fait que cette obligation de référer pourrait constituer une transgression de la liberté de conscience des médecins ontariens, protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Les juges ont en effet plaidé que l’affaire n’offrait pas suffisamment de faits et de preuves sur ce point crucial. On peut s’en surprendre, étant donné que la question porte justement sur ce qu’on nomme communément l’objection de conscience.

En quoi consiste donc l’objection de conscience? Il s’agit d’un refus d’agir dans une situation donnée en fonction de ses convictions profondes, que cela concerne son propre bien ou celui d’autrui. Ironiquement, la Cour elle-même reconnaît (mais sans vouloir statuer sur le cas présent) que forcer une personne à agir contrairement à ses convictions est contraire à la dignité humaine.

Pour justifier leur position, les opposants à l’objection de conscience associent ce choix à un sentiment purement subjectif, fondé sur les « valeurs personnelles » du médecin. Selon eux, le médecin adopterait une posture égoïste qui va à l’encontre de ses devoirs envers les patients.

Or cette affirmation est aussi fausse que trompeuse. L’objection de conscience est d’abord justifiée en ce qu’elle permet au médecin de pratiquer son art avec intégrité et honnêteté, dans le but fondamental de préserver la santé, le bien-être et la vie du patient. Devant la complexité des situations médicales et personnelles, il est erroné de penser que le médecin n’est qu’un exécutant de la volonté du patient, dont le jugement est par ailleurs souvent altéré par la souffrance, l’inquiétude ou le désespoir. En tant que responsables de la santé et de la vie de personnes concrètes, les médecins doivent pouvoir juger librement et refuser de participer à un acte qu’ils considèrent comme dommageable et dont on ne peut connaître avec certitude toutes les conséquences.

Contrairement au jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, protéger l’objection de conscience est un acte de prudence, une garantie contre l’arbitraire et une autre façon de reconnaître dans notre société la dignité et la liberté humaines.

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